Comme toujours

Le soleil se lève sur Galdorane...

Je m'étire, sortant péniblement du soleil, et ma main te cherche. Tu es là. Je n'ai pas encore ouvert les yeux, et déjà je souris. Quand j'ai enfin la force de regarder, je te vois penché sur moi, éclairé par un rayon de soleil timide, mon soleil à moi...

- Bonjour...

Tes yeux me répondent. Je caresse ton visage, je t'embrasse. Quelques minutes de ce dialogue muet entre nos regards rivés l'un à l'autre, et il faut y aller. La journée sera longue. La journée sera belle.

Je me lève, tente de m'habiller, malgré tes mains toujours affamées qui courent sur moi et ralentissent mes gestes. Mes vêtements finissent par gagner cette guerre contre toi, comme chaque matin. Comme chaque matin, je le regrette.

Des messages à la radio, trop peut-être. Je les écoute pensivement en me coiffant, tandis que tu tournes en rond non loin de là, bougonnant des conseils, des plans de production, des projets que je n'écoute pas. Ou que j'écoute sans même le savoir. C'est comme ça. J'envoie quelques réponses selon les informations dont je dispose, puis me branche avec amusement sur la fréquence de l'ECHOS. Toujours le même joyeux bordel. Ca me fait rire.

Aujourd'hui encore il y aura des coursiers à accueillir, l'anisette coulera à flot dans la salle commune, j'écouterai Aryana et Snake se chamailler, j'accueillerai les nouveaux, j'en contacterai d'autres. Je me dirige vers la porte, tu me retiens par le poignet et d'un geste souple tu m'attires contre toi. Ton regard me murmure ce que tu ne m'as pas encore dit, ce "je t'aime" qui ne vient pas, mais dont j'ai une conscience timide, inespérée. Un baiser, encore. La journée va commencer. Il fait si beau... J'aime tant vivre ici. A tes côtés. Cela pourrait durer toujours.

Nous franchissons la porte de la cabane ensemble.

Le spectacle n'est plus le même. L'odeur de chair brûlée m'étouffe, me suffoque. Où est le soleil de ma Galdorane? Je me retourne pour te hurler de partir, mais derrière moi il n'y a plus qu'un corps, le tien, les yeux vides de toute expression. Je hurle, c'est El-Gandjah, c'est Zagaldal, grand immense, et il n'y a plus de portes à El-Gandjah, plus de bâtiments, plus personne, je suis seule sur un monticule de cadavres. Le ciel est bas et lourd de pluie. L'orage va éclater. Je me jette sur ton corps, mais ce n'est plus toi, qui est-ce?

Papa? J'ai enterré ton cadavre il y a des années, papa, c'est toi? Je me dégage d'un geste brusque de l'étreinte macabre, les asticots grouillent et sortent de ce corps putréfié que j'ai tant chéri. Je tombe, recule en me traînant, les yeux exorbités. C'est de nouveau toi, amas de chairs mortes rongées par le ver. La bouche s'ouvre soudain, les orbites vides semblent regarder le ciel, et une voix qui n'est pas la tienne glapit "Toujours pas morte? Toujours pas morte, petite Miss Campbell? Tu attends quoi, dis-moi, Sardhinette? Tu attends encore quelque chose?"

Le cadavre éclate d'un rire tonitruant qui m'assourdit et je me plaque les mains sur les oreilles en hurlant. Des choses tombent de cette bouche grande ouverte, le cadavre s'esclaffe et se moque de moi, je hurle sans arrêt...

El-Gandjah. La nuit. Dressée dans ce qui fut notre lit, je hurle, en sueur, terrorisée. Toujours le même rêve. Je me tais brutalement. Encore hantée par le cauchemar, je me dis vaguement que j'espère n'avoir réveillé personne. La lune est haute dans le ciel, et répand une douce clarté. Haletante, je cherche à me calmer.

C'est toujours le même rêve. Et ça recommencera dès que j'aurai à nouveau fermé les yeux.