Partir

[HRP] Moi je fais toujours plus bas dans le pathétique, et je vous merde touuuuus... Je remercie encore une fois mes sponsors, Kleenex et Harlequin, et vous donne rendez-vous pour la suite des passionantes aventures de Sardha, alias "comment pourrir la vie (et les RPs ) des autres quand on est une veuve hystero et suicidaire"! Merci, mes fans, non, ni flashes ni autographes!



Une nouvelle lune se lève. Le regard hanté par les ombres du passé contemple le ciel calme. Assise dans le sable, les bras entourant ses genoux, Sardha se souvient. Qu'aurait-elle pu faire pour éviter ça?

Après l'incrédulité était venue la rage, cette envie de mourir, immense, impérieuse, de le rejoindre où qu'il soit. Elle s'était penchée vers tous ceux qui s'étaient dits ses amis, avant que le malheur ne la frappe de plein fouet. Pas un n'avait accepté de la délivrer de la souffrance liquide qui coulait dans ses veines. Pas un. Les amis n'étaient donc faits que pour le rire, en fin de compte. Aujourd'hui, elle les haïssait tous.

Elle aurait voulu se coucher près de lui, et attendre la mort, mais ils l'en auraient empêchées... ils ne voulaient pas qu'elle soit heureuse, ils voulaient qu'elle souffre comme eux, plus qu'eux, pour qu'ils se sentent moins tristes! Ils voulaient la garder captive, la faire avancer malgré elle. Qu'en savaient-ils, de ce qu'était souffrir? Qu'en savaient-ils, de ce qu'était se retrouver seule au milieu de cadavres raidis, presque la seule survivante du carnage? Etaient-ils là, durant les nuits qui avaient suivis? Avaient-ils creusés les douze tombes avec elle?

Qui avait dû se résoudre à refermer un cercueil sculpté à la hâte, en sachant que c'était la dernière fois que ce visage serait vu?

Comme s'ils pouvaient savoir...

Sardha se lève. Elle vacille quelques instants, hébétée de faim et de fatigue, mais retrouve son équilibre, et se dirige à pas lents vers la tombe centrale, devant laquelle elle s'agenouille, enfonçant ses deux poings dans la terre.

- Pardon, murmure-t-elle. Pardon, mon amour.

Elle ferme les yeux quelques secondes, comme si elle attendait une réponse, puis se relève. Ses yeux cherchent une direction à emprunter, n'importe laquelle.

- Ils venaient du Sud, chuchote-t-elle.

Elle part, sans un regard en arrière.

Avancer, par tous les moyens, puiser au fond d'elle-même pour marcher encore... Les pas s'enchaînent, maladroits, douloureux, et ce sable à perte de vue... Elle a déjà chuté quelques fois, mais s'est relevée, avec cette seule obsession en tête: partir.

Mais au fond d'elle-même, que reste-t-il encore? La douleur a dévoré ses dernières ressources. Elle bute sur chaque obstacle du chemin, obstinée, a-raisonnée plus que déraisonnable. Encore... encore quelques efforts, ceux qui dans ses rêves sont les derniers. Le bout du chemin. La fin.

Et soudain, ces pleurs qui ne sont pas les siens, là, tout près... Sardha fouille les dunes du regard, et découvre, médusée, la petite chose gémissante. Un bébé? Ici? Qu'est-ce que... Elle tombe à genoux, tend une main tremblante vers l'enfant. Ses doigts caressent doucement la joue couverte de larmes et de poussière. Des bras se tendent. Elle ne veut pas les voir, mais cet appel muet est plus fort qu'elle, et sans qu'elle comprenne comment, le petit corps chaud se retrouve blotti contre elle, apaisé. Sardha tremble, contemple l'horizon, cherchant en vain quelqu'un, un secours... Il n'y a rien.

- Un bébé... murmure-t-elle, indécise sur la conduite à adopter. Qui tu peux être, toi?

C'était une petite fille, visiblement. Quelle ironie... On vient d'ôter la vie de ses amis et de l'homme qu'elle aimait, et elle la retrouve tapie là, dans la poitrine d'un petit être, au beau milieu de nulle part.

Et s'il s'agissait d'une des filles d'Eowin? Elle n'a même rien pour la nourrir...

Epuisée, elle s'assied à même le sol, l'enfant toujours dans les bras, et allume sa radio.

- Pour toi, ça va aller maintenant, chuchote-t-elle d'une voix épuisée avant de saisir le micro.
Une petite main aggrippe fort le vêtement à sa portée, et la petite fille s'endort. Qui appeler, sinon Aryana? Sardha se branche mécaniquement sur la fréquence de celle qu'elle croyait son amie, il y a de cela si longtemps... deux lunes, peut-être moins? La conversation est floue, hachée. Hébétée, elle ne comprend plus ce qu'on lui demande, les indications sont approximatives, perdues dans le trouble de ces nuits de veille qui s'accumulent et brouillent sa perception des choses. Elle éteint la radio, ne sachant pas très bien si elle s'est faite comprendre. Rassurée de manière incompréhensible par la présence du petit corps blotti contre elle, pour la première fois depuis l'attaque, elle s'endort. D'un sommeil de plomb, sans rêves, abrutissant.
Quand elle se réveille, elle s'étend et sourit au soleil du printemps pendant quelques secondes, avant de se souvenir brusquement qu'Ikks est mort. La réalité lui saute à nouveau à la gorge, petit animal sanguinaire aux abois, et les cortèges de morts reprennent leur lent cheminement dans sa tête. Elle s'enfouit la tête dans le sable pour étouffer ses hurlements, ne pas alerter les autres, et ses cris lui usent la gorge jusqu'à ce qu'elle crache un sang délicatement rouge, presque transparent.
Au loin, Paloma s'éloigne avec la petite fille. Sardha ne tente même pas de la contacter. C'est mieux pour cette enfant... Qu'aurait-elle fait d'elle? Elle n'y connaît rien. Elle n'en a jamais eu. Elle n'en aura jamais.
Elle est décidée à rester là, à se laisser ensevelir par le sable, mais les mots d'Aryana, enfin arrivée avec Rob, lui parviennent à travers le brouillard de sa conscience: le rejoindre. Etre avec lui. A-t-elle le droit de mourir aussi loin? Elle se débat, plus par habitude que par réelle envie, puis les suit. Elle sera bientôt à Galdorane... Galdorane? N'y a-t-il pas eu autre chose, entretemps? Tout s'emmêle, elle ne sait plus. Les cahots la bercent malgré leur brutalité. Le sommeil la gagne à nouveau.
Elle ouvre les yeux pour apercevoir El-Gandjah, et tout lui revient avec la force d'un coup de poignard. Sans attendre, elle se dégage, et boitille jusqu'au cimetière, avant de tomber à genoux devant la tombe de Ikks, tête baissée, les deux poings enfoncés dans la terre sablonneuse.
- Finalement... je suis là, parvient-elle à murmurer avant de sombrer à nouveau dans un demi-sommeil.

Résumons-nous, tu veux bien ?

El-Gandjah est loin, maintenant. Pourtant si proche, encore. Depuis qu’Eowin a réussi à la convaincre de la suivre, Sardha avance dans un brouillard machinal, seulement guidée par des éclats de voix et la course du soleil dans le ciel imperturbable. Rien ne lui a permis de retrouver l’envie d’avancer. Pourquoi est-elle encore debout ? Cette vie gluante qui s’accroche désespérément à elle la répugne, mais elle ne lutte plus. La mort finira bien par venir… Elle ira au-devant d’elle, sur les chemins qui mènent à Krill et à la vengeance qu’Eowin désire tellement. Si elle peut encore être utile à ça, pourquoi pas ?

Je suis toujours Gandjie, mais ils ne le savent pas… Chuuuut… Ne dis rien…

Comment Eowin fait-elle ? Déjà, elle reconstruit, alors que la haine est si loin d’être éteinte, que les mains d’Erik doivent la hanter, encore, que la douleur est vive… Cela ne fait même pas un an ! Où trouve-t-elle ce courage ? En est-ce vraiment, d’ailleurs ? Sardha voulait voir avancer une autre veuve, elle voit renaître une femme… Ce n’est pas la réponse qu’elle attendait. Est-ce pour ses filles qu’elle se force à revivre ? Un regard aux jumelles, Morgane, paisible, et la petite Luna dont elle tient la main…

Ma solitude est immense…

Toujours cette douleur, chaque matin, chaque jour, chaque nuit, l’horrible sensation d’être broyée par une peine toujours trop vive, et ces prières, cette envie d’anesthésie, rien qu’un peu, quelques secondes, oublier, ne plus avoir mal… Mais ni l’alcool, ni les drogues ne camouflent la souffrance. Chaque seconde est un pas supplémentaire vers un avenir dont elle ne veut pas. Chaque seconde l’éloigne des derniers instants avec lui. Chaque seconde est une aberration.

Je ne sais plus pourquoi…

Ces lambeaux de phrases, ce discours décousu qu’elle tient à l’oreille de Luna endormie la bercent et l’apaisent. A qui parler, après tout ? Eowin agit comme un animal blessé, trop rongée par ses doutes pour penser à d’autres qu’elle, et les amis ont disparu dans les souvenirs d’un passé heureux. Alors autant murmurer au creux de l’oreille d’une enfant des mots sans signification directe, comme pour chercher un sens à une existence fantomatique, comme si la solution se trouvait, peut-être, dans le sourire énigmatique d’un visage adouci par le sommeil, ou entre les pensées fugaces d’une femme rongée par la solitude dans laquelle elle s’est enfermée.

Je n’ai aimé que lui.